On parle beaucoup de démocratie participative, un peu moins de démocratie inclusive et quasiment pas du tout de démocratie directe.
Alors où en sommes nous et comment peut-on progresser pour aller vers une transition au profit d'une vraie démocratie, celle où le peuple (citoyens et habitants) sera à l'origine des projets et des décisions, pour un monde meilleur?
1- Qu'est ce qu'un monde meilleur?
Je vous partage ma vision.
Un monde réellement fraternel, où le vivant est respecté (humains et non humains, végétaux inclus), qui s'organise en commun pour le bien de tous et donc où chacun coopère dans le triptyque Liberté, Égalité et Fraternité.
En bref, une vision qu'à Utopia, on se donne en ligne de mire et qu'on nomme le buen vivir
2- Qu'est ce qu'une vraie démocratie?
La démocratie se partage, les citoyens-ennes en sont l'essence même et les acteurs (pour le peuple et par le peuple). Dans nos pays dits démocratiques, nous n'en sommes qu'aux prémices, avec une forme de démocratie qui délègue le pouvoir de décider à des élus, via un vote au suffrage universel et à la majorité des suffrages exprimés. C'est une démocratie représentative.
Donc pour 5 ou 6 ans selon les territoires (nationaux ou communaux), on élit des représentants-es chargés de "faire le boulot", plus ou moins bien, avec l'aide indispensable des agents (de l'état ou communaux). De temps en temps, ces représentants élus demandent l'avis des citoyens sur des projets (concertation), mais au final, ce sont les élus qui décident via les assemblées officielles (conseils municipaux, assemblée nationale).
Quand on sait qu'une majorité dans nos pays, au deuxième tour, représente à peine 30% des électeurs-trices qui nomment les élus, on peut se demander si cette "démocratie" est bien réelle...
Quand on sait le peu de pouvoir qu'ont les instances de proximité (communes), on peut aussi se demander si cette démocratie est fondée...
Si les assemblées de citoyens-ennes étaient décisionnaires sur les questions d'organisation de la société, là, on aurait réellement une démocratie.
C'est ce qu'on appelle la démocratie inclusive ou délibérative.
Dans le système actuel, une organisation de ce type est plus simple à mettre en place quand le territoire est petit. C'est la raison pour laquelle Murray Bookchin a travaillé sur le municipalisme (ou communalisme ou localisme)
Pour en savoir plus sur les différentes formes de démocratie, allez ICI
3- Quels en sont les freins ?
Vous allez me dire, tout cela est évident, mais comment arriver à cette démocratie inclusive et délibérative et quels en sont les freins???
- 1er frein: le système actuel
Fondé sur le vote des citoyens-ennes et sur des appareils de gouvernance nationaux et locaux, le système électoral est bien rôdé, précisément légiféré. Il fonctionne tant bien que mal. Je dis tant bien que mal car le nombre de votants est de plus en plus faible. Il y a eu 41,6% de participation aux dernières élections municipales de 2020, élection pourtant la plus suivie, ce qui veut dire que la liste majoritaire, donc élue, a reçu 22 à 23% de voix des électeurs potentiels de son territoire.
De plus, les mandats donnés
aux élus ne sont pas impératifs. C'est à dire que ceux-ci ne sont pas
contraints, ni par la loi ni par les électeurs, à mettre en oeuvre
leurs promesses électorales.
Comme les institutions sont fondées sur ce système, il semble difficile de l'envisager autrement.
Par exemple (sujet pris au hasard et totalement imaginé): dans une commune, les élus mettent en oeuvre leur projet de faire un périphérique. Ils l'ont mis dans leur programme (pour lequel je le rappelle moins de 30% des électeurs ont voté). Donc ils ont légitimité pour le faire... ou pas ! Or s'il se trouve qu'une grande partie de la population concernée par ce périphérique, le remettent en question, c'est le fouillis! Certains ne seront pas d'accord parce que leur habitation va se trouver à côté (donc nuisances); d'autres parce qu'ils sont contre le "tout voiture" (conviction); d'autres parce que ce périphérique va enfermer et vider le centre ville (intérêt économique); d'autres encore trouvent que le prix est énorme et que cet argent serait mieux employé ailleurs... Bref, plein de raisons pour s'opposer à ce périphérique.
Certains en revanche seront d'accord pour d'autres raisons, comme la facilité de circuler pour entrer ou sortir de la ville, aller au travail en voiture, moins d'embouteillages...
Mais les élus ont été élus pour le faire. Ils s'en sentent légitimes malgré tout. Et là, il y a problèmes sociaux et conflits sous roche!!
- 2ème frein: les citoyens ne se sentent pas concernés
Normal puisque l'habitude est prise de déléguer aux élus. Même à l'école, on apprend aux enfants qu'ils devront voter pour élire des représentants et devenir ainsi de vrais citoyens. Mais on ne leur dit jamais qu'ils pourraient participer aux décisions, voire décider par eux-mêmes. Ça, c'est pas prévu au programme ! Dans les cours d'histoire, on parle bien du forum de la démocratie athénienne, mais il ne s'agit que d'histoire passée, donc pas censée être reproductible. L'élection de représentants est considérée comme LE progrès.
3ème frein: je ne suis pas compétent-e et j'ai autre chose à faire
Normal aussi, car on n'apprend pas aux citoyens à administrer leur Cité et c'est vrai que le fonctionnement d'une collectivité est complexe. Les assemblées citoyennes prévoient une période de formation sur les sujets à débattre. Ces formations incluent des agents territoriaux. Concernant le temps à consacrer à ce travail, il faut considérer que la démocratie prend du temps, sachant que dans notre société, le temps c'est de l'argent (travail rémunéré) et du temps pris sur d'autres activités (familiales et ludiques)...
Conscients de ce frein, les organisateurs d'assemblées citoyennes les placent en général pendant le WE et étudient un défraiement pour les participants-es.
4ème frein: le goût du pouvoir
C'est sûr que c'est excitant pour un élu de se dire que c'est lui-elle qui décide de l'avenir de sa Cité. Avec tout le falbala qui accompagne le pouvoir: les honneurs, l'ascendant sur le peuple, la réputation-célébrité du "chef", les "troupes" sous ses ordres - en l'occurrence les agents territoriaux ou les agents de l'État. Cet appétit du pouvoir est bien connu et c'est pareil dans une entreprise d'ailleurs!
Accepter que la gouvernance d'une Cité soit partagée est un long chemin fait de renoncements pour un élu !!
4- Quelles sont les différentes formes de démocratie inclusive?
Je parlerai ici des assemblées locales, sur les sujets desquelles le Conseil Municipal n'a pas encore délibéré.
source: webinaire Fréquence Commune- Thomas Simon
Une assemblée informative est le b-a ba de la démocratie! Avant d'agir, les élus informent les citoyens de leur projet et des conditions de sa mise en oeuvre.
Dans le cas du périphérique, la moindre des choses est d'informer du tracé, du calendrier et du coût !
Une assemblée consultative permet de donner la parole aux citoyens, pour leur demander leur avis sur un projet. Mais ne nous faisons pas d'illusion, la décision est déjà prise. La consultation permet de se donner bonne conscience et parfois d'enlever ou ajouter quelques détails au projet.
Dans le cas du périphérique, modifier un peu le tracé, planter quelques arbres, faire un parking relai...
Une assemblée locale délibérative mixte ou non mixte permet en plus de prendre en compte les délibérations des citoyens, en tant que co-constructeurs du projet. L'assemblée non mixte permet plus de liberté aux citoyens pour se faire une idée et proposer des alternatives sans pression des élus et agents. En effet, quand les élus et agents sont présents aux débats (assemblée mixte), ils influencent de facto les citoyens présents.
Dans le cas du périphérique, si l'assemblée finit par décider qu'il n'est pas opportun de le construire, des alternatives peuvent être proposées et prises en compte par les élus.
L'assemblée "garde fou" est une sorte d'assemblée "vigie" qui évalue les avancées (ou retards) sur les projets au programme. Le Pacte pour la Transition fonctionne ainsi en contrôlant régulièrement ce qui est acté et mis en oeuvre et en le faisant savoir à la population.
L'assemblée d'interpellation locale est utilisée quand une revendication motivée contre un projet ou au contraire un projet non respecté, se fait sentir jusque dans la rue. Elle permet de calmer le jeu par un débat ouvert et de négocier. Attention, l'animation de cette assemblée est en général assez complexe pour le-la modérateur-trice...
Par exemple un projet de construction d'un parking non prévu au programme des candidats ou au contraire ce parking prévu mais réalisé avec des modifications notables qui interpellent les habitants.
L'assemblée d'interpellation nationale est similaire, sauf qu'elle porte sur un sujet qui n'est pas du ressort de la collectivité locale, mais nationale voire plus large. Parfois, les élus locaux soutiennent ce genre d'assemblée qui leur permet des prises de décisions qui ne sont pas de son ressort.
L'assemblée référendaire est une forme différente d'assemblée dans la mesure où elle appelle à un référendum d'initiative citoyenne - RIC (ou populaire).
Aujourd'hui, il existe le Referendum d'Initiative Partagé (RIP) qui est fortement encadré, si bien qu'il n'a pratiquement jamais lieu. Il fut voté lors de la réforme constitutionnelle de 2008 et entré en vigueur en 2015. Il prévoyait qu'au moins 10% du corps électoral devait l'avoir validé. Cette disposition, a été modifiée par le recueil d'au moins un million de voix de la population.
C'est à ce jour encore une des revendications des Gilets Jaunes qui ont demandé une nouvelle modification du RIP actuel pour qu'il soit faisable et devienne RIC. Il s'agit en effet de faciliter la consultation du peuple, sans associer le Parlement en amont comme c’était le cas pour le référendum dit "d'initiative partagée". C'est la raison pour laquelle il est appelé Référendum d'Initiative Citoyenne.
L'assemblée budgétaire est focalisée sur les budgets attribués aux différents projets. Et donc il est important de définir précisément les projets en question et leur priorité relative aux autres projets, de façon à valider l'importance du budget.
L'assemblée décisionnaire est beaucoup plus ambitieuse! Comme son nom l'indique, non seulement elle demande l'avis et propose un débat avec les citoyens-ennes, mais en plus, les décisions prises sont appliquées par le Conseil Municipal, alors que pour les assemblées précédentes, une délibération et un vote au Conseil Municipal est seul à même de valider les propositions.
Cette forme d'assemblée repose sur la confiance que l'on fait aux citoyens-ennes et à l'intelligence collective.
Pour exemple, la Convention Citoyenne pour le Climat était censée être décisionnaire...
5-Comment fonctionne une assemblée citoyenne, les étapes?
Il est évident qu'une assemblée citoyenne ne se fait pas en un claquement de doigts! Nous prendrons ici l'exemple d'une assemblée citoyenne réunie sur un projet et qui va travailler sur un assez long terme (au moins 6 mois à raison d'une ou deux séances par mois)
a- "recruter" les citoyens.
Le postulat de base est que l'organisateur soit indépendant, cela va sans dire. Pour "recruter" des participants-es, le plus représentatif et inclusif est le tirage au sort sur listes de téléphone, à condition d'avoir un nombre d'habitants-es tirés au sort en relation avec la grandeur du territoire. Pour une commune moyenne, il faut au moins 100 participants-es par assemblée, sachant qu'il peut bien sûr exister plusieurs assemblées qui traitent chacune un sujet.
L'idée en effet est d'éviter de n'avoir que :
- des citoyens-ennes déjà engagés,
- des citoyens et peu de citoyennes ou d'origines internationales. Vous savez, la suprémacie du mâle blanc éduqué et souvent de plus de 50 ans...;
- des intellectuels,
- ou des lobbies motivés par leurs propres intérêts.
Bref il est nécessaire de conserver la diversité qui fait la richesse de notre population.
Il y a aura des refus et des défections en cours de route. C'est la vie!
b- décider du ou des sujets sur lesquels travailler
Ce peut être un sujet concret comme dans l'exemple précédent la construction ou non du périphérique avec peut-être des alternatives. Mais le sujet peut être beaucoup plus vaste, ce qui est l'objet des assemblées municipales sur le temps long, qui intègrent des implications sur les impacts climatiques et la bio-diversité. Ces implications ne sont peut-être pas perceptibles à l'instant T, mais qui obligent à se projeter à 10 ou 20 ans.
Il peut donc exister plusieurs assemblées avec des gens différents pour une même commune.
c- se former au sujet pour délibérer valablement
Cette étape est indispensable. Il faut alors choisir des spécialistes (certains les appelle des experts), qu'ils soient scientifiques, sociologues, philosophes ou penseurs du sujet. N'hésitons pas à retenir des experts de différentes tendances sinon gare à la manipulation! Il
est souvent nécessaire, pour les sujets techniques, d'y ajouter les
agents territoriaux qui seront chargés de la mise en oeuvre du projet "sur le terrain". Le but est que les citoyens-ennes participants-es aient toute la connaissance nécessaire à leur délibération et prise de décision. Cette étape de formation est longue mais les participants-es sont conscients qu'ils apprennent et montent en compétence sur le sujet. Il est rare qu'il y ait des défections à cette étape.
d- débattre sur le sujet avec des techniques d'animation participatives
Rien n'est plus compliqué que de donner la parole à chaque personne (même aux plus timides), éviter les prises de pouvoir de leaders, construire des désaccords féconds et parvenir à un accord par consentement. Pour cela, de nouvelles méthodes d'animation existent avec des facilitateurs-trices qui ne sont pas là pour imposer leur point de vue, mais pour guider les débats. On passe ainsi successivement de l'affrontement à l'apaisement pour arriver à une décision commune.
e- prendre la décision
Jusqu'à environ 100 personnes participantes à l'assemblée, on peut utiliser la prise de décision par consentement. Ce qui offre l'avantage d'aboutir à une décision partagée entre tous les participants sans passer par le consensus (quasiment impossible dans une assemblée de 100 personnes). Et bien sûr éviter le vote à la majorité qui, je le répète, frustre les quelques 49% qui ont voté contre!
PS: on peut apparemment avoir plus de participants gràce à une méthode à voir ici: https://www.involve.org.uk/resources/methods/21st-century-town-meeting
f- la faire appliquer
Bon me direz-vous, l'adjectif décisionnaire étant le qualificatif de cette assemblée, y'a qu'à ! Euh ce n'est pas aussi simple dans le système actuel que j'ai décrit en début de cet article. Voyez comme la CCC a été suivie de peu de décisions réelles du gouvernement (seulement 10% des propositions), malgré le travail remarquable de 150 citoyens-ennes pendant 6 mois.
EN CONCLUSION
Pas de conclusion, mais juste un espoir que la démocratie progresse, non seulement dans nos pays européens, mais aussi dans le monde. De nombreux acteurs de la société civile militent en faveur de cette démocratie inclusive et quelques partis politiques commencent à en parler.
Comme on dit à Utopia: "avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue". Donc rêvons, mais agissons aussi!
Contacts: si vous voulez en savoir plus ou mettre en oeuvre une assemblée citoyenne dans votre commune:


Une vue claire sur les enjeux démocratiques. (Jean-Paul Grange - Municipalités en Transition)
RépondreSupprimermerci Madame Brichet pour cet article détaillé mais cependant très clair! j'ai tout compris sur la démocratie inclusive
RépondreSupprimerIl y a aussi les CRD qui sont capables d’organiser et animer une assemblée citoyenne
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