Avec les gilets jaunes, comme pour les bonnets rouges, nous sommes face à un mécontentement fondé sur l'amertume et la colère, qui s'est cristallisé sur les taxes sur les carburants pour les uns ou sur l'éco-taxe pour les autres. Tous deux sont donc en lutte contre des impôts supposés être réinvestis dans la transition écologique.
Plus largement, ce mécontentement exprime la désespérance des classes défavorisées et moyennes face à leur perception d'une vie quotidienne qui se dégrade.
Cette désespérance n'est ni organisée, ni porteuse d'une vision d'avenir. "Je sais ce que ne veux pas mais je ne sais pas ce que je veux". La seule revendication est le fameux "pouvoir d'achat", devenu l'alpha et l'omega du "bien-vivre". En aucun cas ce n'est un projet de société.
Cette désespérance peut impacter les fondements de notre société dans son ensemble.
En effet, se mettre en lutte contre l'impôt remet en cause la légitimité d'un gouvernement à utiliser à bon escient les fonds publics qui, comme leur nom l'indique, servent à assurer les services publics et les engagements organisationnels d'une nation.
Qu'on ne soit pas d'accord avec les orientations politiques et fiscales d'un gouvernement, c'est légitime, à condition d'avoir une vision de ce pourquoi on lutte.
Ne pas
mépriser ceux qui se sentent floués par les puissants est une chose. Mais légitimer une tentative de découper en tranches les
urgences sociales en est une autre car tous les domaines, que ce soient
les migrations, l’information, l’environnement, les acquis sociaux ou la justice fiscale devraient être concernés... bien avant le prix du carburant!
Une société individualiste en manque d'idéal collectif.
Avant, on aurait dit en manque d'idéologie, mais il semblerait que ce concept soit devenu péjoratif aujourd'hui. On n'a gardé que le début du mot pour parler d'idéal. Et pourtant! Je reprendrai la définition de l'idéologie par le sociologue canadien Guy Rocher: « système d'idées et de jugements, explicite et généralement organisé, qui sert à décrire, expliquer, interpréter ou justifier la situation d'un groupe ou d'une collectivité et qui, s'inspirant largement de valeurs, propose une orientation précise à l'action historique de ce groupe ou de cette collectivité ».
Le mouvement des gilets jaunes, comme l'était celui des bonnets rouges, ne se fonde sur aucune vision sinon la défense corporatiste de modes de transports individuels ou commerciaux dépassés (plutôt que de lier cette contestation à vision collective comme exiger l'accroissement des transports en communs et leur gratuité, ou du fer-routage par exemple).
Oui, sans cette vision d'avenir, les mouvements de contestation deviennent réactionnaires (au sens propre du terme: en réaction à...).
Pour l'historien Roger Martelli "les catégories populaires ne deviendront Peuple que lorsqu’elles auront combiné ce qu’elles refusaient à ce à quoi elles aspiraient, lorsqu’elles ont marié leurs colères et leur espérance... Le peuple ne devient pas souverain par le ressentiment qui l’anime, mais par le projet émancipateur qu’il propose à la société tout entière. "
Une société à la recherche d'un projet émancipateur
Aujourd'hui, nous sommes à un virage sociétal sans vision de l'après. Les tentatives marxistes ont capoté, le capitalisme-productiviste-consumeriste-financier fait des ravages, mais est devenu la norme (combien de fois ai-je entendu «ben oui c’est comme ça on n'y peut rien faut faire avec») et aucun espoir apparent ne se profile à l'horizon.
La transition (politique, économique, climatique, énergétique...) se fait dans le chaos et la douleur des peuples qui n’ont plus de "cap d’espérance" d'un monde à venir. Et pour ceux qui ont une petite idée du monde qu’ils rêveraient pour demain, impossible de détecter comment on peut y parvenir, dans les flots déchaînés.
Donc les mobilisations populaires se concentrent sur des contestations émotionnelles désordonnées. Les classes moyennes et défavorisées sont en colère face à la dégradation de leurs conditions de vie, sans savoir ce qu’elles aimerait à la place (mis à part le fameux « pouvoir d’achat » et la "sécurité").
C'est comme cela que sont nées les chemises noires, cette milice volontaire constituée d'anciens combattants, chômeurs et jeunes bourgeois qui a porté Mussolini au pouvoir.
La guerre et les nazis hier; la montée des fascismes et des populismes de tous poils aujourd’hui.
La guerre et les nazis hier; la montée des fascismes et des populismes de tous poils aujourd’hui.
Dans cet entre-deux toutes les horreurs sont possibles (probables?). «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres» (Gramsci),
Ce qui peut faire douter d’une transition progressive et pacifique, malgré la foi lumineuse d’Edgar Morin de "relier la multitude ".
Mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras et attendre la catastrophe.
Pour ma part, je me suis engagée dans le Mouvement Utopia pour diffuser le plus largement possible cet espoir d’un monde du Buen Vivir*. Et pour cela, il y a nécessité de sortir de l’entre-soi et s’activer sur l’éducation populaire pour créer cette hégémonie chère à Gramsci ("l’hégémonie, c’est l’addition de la capacité à convaincre le plus grand nombre pour contraindre l'oligarchie").
Bref, faire en sorte que de plus en plus de gens luttent POUR quelque chose et pas seulement CONTRE ce qui ne va pas.
Allez, on y croit!
* Buen Vivir: projet de société reposant sur la relation harmonieuse entre l’homme et la
nature, en rupture avec la dégradation engendrée par le modèle
économique fondé sur la consommation et la croissance. Il développe une
démocratie d’un type nouveau qui, en plus de prendre en compte les
générations futures, intègre des segments historiquement exclus de la
population : les femmes, les immigrés, les habitants des quartiers
populaires…


c'est pas aussi évident que ça vous savez. Quand on arrive pas à joindre les deux bouts, on crie sa rage et c'est tout
RépondreSupprimertu exageres un peu Geneviève de comparer avec les chemises noires. la situation n'a rien à voir. C'est juste un ras le bol généralisé. C'est vrai que c'est bien dommage que ça soit causé par la hausse des carburants, mais il faut l'écouter. pour le projet de société, je suis d'accord, c'est pas bien clair du coté des manifestants...
RépondreSupprimerOui peut-etre, mais à peine... les chemises noires n'étaient pas des fascistes au début. Juste des anciens combattants, chomeurs et jeunes bourgeois qui réclamaient la journée de 8h00, la retraite à 55 ans, un salaire minimum et plus de terre pour les paysans... pas d'idéologie particulière, mais une rapide montée de la violence et la récupération habile de Mussolini. Bon j'arrête là mes comparaisons !
RépondreSupprimerJ'ai moi aussi espéré que tu exagérais. Malheureusement je crains que tu aies raison.Dominique D
RépondreSupprimerje pense qu'il s'agit d'une réaction épidermique qui n'a à mon sens rien à voir avec l'activisme politique (l'activisme désigne un engagement politique privilégiant l'action directe. C'est une forme de militantisme dont l'une des modalités peut être de braver la loi, s'agissant d'actions qui peuvent parfois être considérées comme violentes- Wikipedia).
Supprimerle mouvement des gilets jaunes est en train d'évoluer. Pour moi je pense que c'est positif et comme tu le dis geneviève, ils prennent une conscience politique de remise en cause du système globalement. Si c'est le cas, soyons attentifs et accompagnons le mouvement!
RépondreSupprimerJe crois qu'on vient de regarder tous les deux l'émission spéciale de France 2 sur les Gilets Jaunes. Tu as raison, ils sont en train de se structurer, d'avoir des vraies idées politiques et pas seulement une revendication corporatiste sur les taxes carburant. J'ai découvert Hayk le co-fondateur de "gilets jaunes le mouvement". Il a un vrai discours de remise en cause de l'origine de ce sentiment vécu de l'intérieur d'injustice sociale et a su élargir aux différents ingrédients du système politico-économique à travers ce mouvement citoyen. Sur le site (https://www.giletsjauneslemouvement.com), la phrase d'accroche est superbe "Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres..." Wouah! ça donne envie!
SupprimerDu coup, je reviens sur mon article et ma réponse au commentaire précédent. Je me suis trompée (je l'espère!). Ce mouvement est peut-être le démarrage d'une grande remise en cause!
oui, je le pense aussi même si cela crée une effervescence aux retombées imprévisibles à l'image de la Grande Peur qui a précédé et rendu possible la Nuit du 4 août cf https://www.persopolitique.fr/1384/gilets-jaunes-pour-une-nouvelle-nuit-du-4-aout/
Supprimerbonjour Geneviève, je viens de lire la tribune de Laurent Joffrin sur les gilets jaunes et il laisse entendre que le mouvement pourrait être largement récupéré par l'extrème droit (M. le Pen), notamment aux européennes. SI c'est le cas, tu ne te serais pas trompée dans la iaison que tu as faite avec les chemises noires...
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