À propos de l'activisme

J'ai le sentiment que les manif' gentillettes n'ont plus aucun effet sur les causes à défendre. D'où cette réflexion sur l'activisme. Un mot qui fait peur, et pourtant...

Business as usual
Les manif' sont déclarées en Préfecture (ou en Mairie) pour être autorisées. Sans cela, il est interdit de manifester*.
Dans une manif', on marche, on cherche la banderole qui correspond le mieux à son engagement et on se met derrière. On repère des copains, on chante, on interpelle joyeusement les spectateurs sur les trottoirs pour qu'ils nous rejoignent, on reprend les slogans de celui (rarement celle...) qui tient le porte-voix, on est content d'être nombreux.
Une fois la manif arrivée à la destination prévue, tout le monde se disperse tout aussi gentiment. On compte les manifestants (avec des chiffres rigolos selon la police ou selon les organisations) et tout le monde rentre chez soi satisfait du "devoir" accompli. Le soir, on regarde les infos à la TV et on s'étonne de ne pas avoir grand'chose sur ce qui nous a quand pris la matinée (ou l'après midi c'est selon). Et quant au gouvernement, il s'en fiche totalement ! Rien ne change.

Ayant discuté avec un policier de la brigade fluviale récemment, il analyse tout ça avec... pragmatisme!  Si tout se passe dans le calme, avec un bon service d'ordre de la part des organisateurs, les policiers sont là parce qu'on leur a demandé de surveiller si des blacks blocs ne s'y sont pas infiltrés. Si ils ne repèrent aucune personne à interpeler, ils repartent tranquillement. Une manif de plus qui leur a pris leur samedi, mais rien à signaler. 
Je parle ici des manif que j'ai appelées "gentillettes".

La position des activistes
Les activistes ont fait le même constat que moi. Une manif' gentillette, ça ne sert à rien, juste à se faire plaisir: on a fait quelque chose donc on est "droit dans ses bottes".
Il existe maintenant des organisations militantes qui utilisent les techniques plus efficaces.
Deux positions s'opposent chez les personnes engagées qui veulent se mobiliser avec quelque chance que leurs revendications aboutissent. Je ne parlerai ici que de la première position, celle des activistes non violents. Les activistes violents (Blacks Blocs) seront l'objet d'un autre article.

Les principes et techniques de l'Action Non Violente (ANV)**
Ces techniques ont été de tous temps utilisées par les syndicats avec les grèves (bloquer le projet d'un acteur de l'économie qui ne respecte pas les travailleurs).
Dans sa forme actuelle, l'ANV est passée d'une revendication corporatiste à une exigence politique urgente en défendant des causes et des valeurs universelles que le système politique et économique actuel met en danger. 
En cela, l'ANV est par définition politiquement engagée.
Inspirée de Martin Luther King et Gandhi, elle s'est manifestée en France avec les "faucheurs volontaires" de la Confédération Paysanne en 1999. 

Aujourd'hui, axée principalement sur la sauvegarde de l'environnement et du vivant, elle est utilisée par de nombreux mouvements comme les Femen (défense du féminisme), GreenPeace (sauvegarde de l'environnement et de la biodiversité), Extinction Rebellion (défense de la bio-diversité contre l'extinction des espèces), certains mouvements de défense de la condition des animale comme L214 et des mouvements Vegan, ou encore ANV-COP21 (sauvegarde de l'écologie, climat et du social et donc lutte contre les entreprises ou décisions gouvernementales impactantes sur ces sujets). 
Il y a bien d'autres mouvements qui utilisent l'ANV pour se faire entendre, mais il serait trop long de les citer tous, comme quoi, cette technique fait des adeptes et c'est tant mieux! d'ailleurs les formations jouent complet à chaque séance. Bientôt un MOOC?

En attendant, tâchons d'y voir plus clair.
L'ANV consiste à occuper un territoire sans rien casser, sans agression physique sur l'adversaire, mais en réalisant des actions symboliques ou gênantes fortes, capables de marquer les esprits et parvenir à un objectif déterminé.
La stratégie de l'action non violente consiste, après avoir analysé la situation et évalué les forces et faiblesse des différents protagonistes du conflit, à imaginer, choisir et planifier les différentes actions et à les mettre en oeuvre de façon coordonnée en vue d'atteindre l'objectif déterminé commun qui doit être précis, limité et atteignable à court terme.

L'objectif général est de réussir à obtenir des résultats tangibles (suppression d'une loi, arrêt de pratiques écocides, blocage du projet d'une entreprise dangereux pour l'environnement ou le vivant etc...).

Les moyens: il s'agit de sensibiliser largement à la cause (mediatisation) en allant jusqu'à provoquer des expulsions, des arrestations pour "trouble de l'ordre public". Il s'agit aussi de créer une action suffisamment gênante pour l'adversaire, pour que des résultats soient obtenus.
Pour cela, les actions les plus communes sont les occupations de lieux, l'obstruction, la dénonciation, le boycott, la désobéissance civile ***.
Les formes d'expression créatives comme l'humour , la dérision, la confrontation, mais aussi des implications physiques de la part des manifestants (jeûnes, lie-in****, )
permettent d'attirer les sympathies et déstabiliser l'adversaire peu habitué à ce type d'action.

Trois règles de base:
-  avoir un plaidoyer précis et non contestable, des réponses aux objections de l'adversaire, pointer les incohérences. 
- entamer le dialogue, avoir des relations humaines bienveillantes avec tous les protagonistes, y compris la police.
- permettre à l'adversaire d'avoir une porte de sortie honorable sans perdre la face:  "un conflit qui se termine sans rancoeur, voilà le test ultime de la non-violence" (Gandhi) 

Quelques exemples: 
• Les Faucheurs Volontaires:  fauche de champs de maïs transgénique; 
• Les activistes vegan: peindre en rouge-sang des boucheries;
• L214: diffusion de vidéos d'abattoirs montrant la souffrance animale;
• Greenpeace: action sur un marché contre les pesticides: mise en scène de ventes aux enchères des derniers fruits et légumes issus de la pollinisation.
•ANV COP 21: blocage des accès aux tours de Total, EDF, Société Générale ainsi que le Ministère de la Transition écologique et solidaire à la Défense et détournement des panneaux publicitaires; réquisition du portrait officiel d'Emmanuel Macron.
Si vous voulez d'autres exemples, allez ICI

J'ai un peu de mal à conclure, il y aurait tant à dire. Les résultats sont parfois dérisoires, d'autres sont exceptionnels mais souvent récupérés si bien qu'on ne se rappelle plus quelle est la cause du changement. 
Tant pis! Petit à petit, les colibris éteignent l'incendie!


*La liberté de manifester est soumise à un encadrement précis, notamment à une autorisation préalable dont les conditions sont détaillées dans le décret-loi du 23 octobre 1935, abrogé par une ordonnance, en 2012, qui en conserve les principes :
-une déclaration doit être faite en mairie (ou à la préfecture de police de Paris) « trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus » avant la date de la manifestation ;
-elle est signée par au moins trois organisateurs domiciliés dans le département, qui doivent détailler leurs noms, prénom et adresse ;
-le but de la manifestation, la date, l’heure et le cas échéant l’itinéraire doivent être précisés.

** le mouvement MAN voir https://nonviolence.fr/Nouvelles-pratiques-d-action-non-violente-l-urgence-de-se-former-Conference-de

*** La désobéissance civile est le refus assumé et public de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé inique par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique

*** lie-in (ou die-in): action de se coucher par terre et simuler la mort en se recouvrant de banderoles expliquant la cause, pour bloquer un lieu et attirer l'attention des passants. Le lie-in perdure jusqu'aux arrestations